Genèse d’une arythmie
Les arythmies sont dues à des anomalies de formation et/ou de conduction de l’influx électrique.
Anomalies de formation:
– automatisme anormal: des cellules du tissu nodal ou du myocarde commun acquièrent à la suite d’une altération (ischémique, dégénérative, médicamenteuse) un automatisme lié à l’apparition d’une dépolarisation diastolique spontanée.
– oscillation du potentiel diastolique: Le post potentiel est favorisé par l’hypokaliémie, l’ischémie ou les catécholamines. Si cette oscillation est suffisamment marquée, elle peut déclencher un nouveau potentiel d’action.
Anomalies de conduction:
Les réentrées:
Ce mécanisme est à l’origine de nombreuses arythmies.
Si un influx rencontre une portion de voie de conduction encore en période réfractaire, il retourne à son point de départ par un circuit détourné. Il redépolarise ensuite la région d’où il est parti et donne naissance à un complexe prématuré (réentrée).
Lorsque le circuit de réentrée est de grande taille, on parle de macroréentrée: flutter atrial ou ventriculaire, torsades de pointe, syndrome de Wolff-Parkinson-White. Si le circuit est court, on parle de microréentrée: tachycardie jonctionnelle (nodale).
Pérennisation de l’arythmie:
Pour qu’une arythmie apparaisse et se pérennise il faut un concours de circonstances simultanées que résume le triangle de Coumel.
Les troubles de l’excitabilité sont classés selon la localisation anatomique du foyer ectopique: atrial, jonctionnel ou ventriculaire.
Les rythmes supraventriculaires (qui prennent naissance au dessus du nœud AV) s’accompagnent de QRS fins (en l’absence de bloc de branche associé) tandis que les rythmes ventriculaires sont caractérisés par des QRS larges.
Un QRS fin correspond à l’activation simultanée des deux ventricules.
La dénomination du trouble est variable selon son mode d’apparition:
– isolé: extrasystole
– périodicité: doublets (2 extrasystoles consécutives), triplets (3), salve (entre 4 et 10)
– couplage au rythme de base: bigéminisme (1/2), trigéminisme(1/3)
– caractère permanent ou transitoire
– durée: tachycardie non soutenue (moins de 10 secondes), tachycardie soutenue.
Par ailleurs, il est possible de reconnaitre l’origine anatomique d’un foyer ectopique (aspect en D2).
Hyperexcitabilités supraventriculaires
1) Hyperexcitabilité atriale
Les oreillettes se distendent facilement sous l’effet de perturbations hémodynamiques.
La maladie valvulaire dégénérative, la cardiomyopathie dilatée du chien et la cardiomyopathie hypertrophique du chat génèrent de nombreux troubles du rythme atrial en rapport avec la distension des myocytes.
L’hyperexcitabilité atriale peut aussi être secondaire à une maladie respiratoire sévère, une hypokaliémie ou à une intoxication médicamenteuse (digoxine, théophylline, bêta-adrénergiques)
Les troubles de l’excitabilité atriale que l’on rencontre sont:
– les extrasystoles atriales.
– les tachycardies atriales paroxystiques.
– le rythme du sinus coronaire.
– le flutter atrial.
– la fibrillation atriale.
– Les rythmes jonctionnels.
Quelque soit le trouble rythmique identifié, il faut savoir que celui-ci peut rapidement évoluer vers un autre trouble potentiellement plus grave.
Toutes les tachycardies supraventriculaires permanentes peuvent être à l’origine d’une cardiopathie rythmique avec altération de la fonction ventriculaire gauche.
– Les extrasystoles atriales (ESA)
Une ESA se présente sous une forme très proche d’une systole sinusale.
Par définition elle est prématurée; c ‘est par le repos compensateur qui suit une ESA qu’on la remarque. Un examen attentif fait apparaitre une morphologie de l’onde P’ (P’: onde P qui précède une extrasystole atriale) légèrement modifiée et un intervalle PR différent.
En cas de tachycardie sinusale très rapide ou d’ESA très prématurée, l’onde P’ de l’extrasystole se superpose à l’onde T précédente. Il est parfois difficile de la distinguer d’une extrasystole jonctionnelle (non précédée d’onde P) ce qui n’a pas d’incidence thérapeutique.
D’autre part, lors d’ESA très précoce il arrive que l’influx trouve sur son chemin des fibres qui ne sont pas encore sorties complètement de leur période réfractaire ce qui créé un bloc de conduction. Ce phénomène peut donner naissance à un complexe aberrant (phénomène d’Ashman) qui simule, par l’élargissement du QRS lié au trouble de la conduction, une extrasystole ventriculaire. Il importera d’identifier ce complexe aberrant car la prise en charge pourra être différente.
Le phénomène d’Ashman (aberration ventriculaire):
C ‘est un QRS large à l’allure ventriculaire du à un trouble momentané de la conduction mais ce QRS est d’ origine est supraventriculaire.
Caractéristiques d’une aberration:
– Les couplages aux QRS précédents ne sont pas fixes et l’aberration est plus ou moins complète (fréquence dépendant).
– lors d’un trouble du rythme supraventriculaire très rapide, si un influx se heurte à la période réfractaire d’une branche du faisceau de His (souvent la droite qui a la période réfractaire la plus longue), l’aspect de l’influx sera celui d’un bloc de branche (aspect d’extrasystole ventriculaire gauche). Lors de BBD, le début du QRS est identique au QRS d’origine sinusale.
– Lors de rythme moins rapide, l’aberration survient souvent après une diastole longue. Elle peut être assimilée à un complexe de fusion de morphologie intermédiaire entre un complexe sinusal et un complexe ectopique. Parfois ils surviennent après une diastole courte, elle même précédée d’un cycle long.
Les ESA sont généralement bien tolérées lorsqu’elles sont isolées. En revanche les tachycardies atriales soutenues aggravent les signes d’insuffisance cardiaque par la baisse du volume d’éjection qu’elles induisent.
Néanmoins, même des ESA isolées, lorsqu’elles surviennent sur des cardiopathies peuvent être annonciatrices d’un possible passage en fibrillation atriale aux répercussions cliniques nettement plus prononcées.
Les tachycardies atriales
C’est une succession ininterrompue d’extrasystoles atriales à fréquence élevée.
Elle peut être permanente ou paroxystique. L’onde P extrasystolique est appélée P’.
L’onde P’ et l’intervalle P’R étant morphologiquement très proche d’une systole sinusale, la distinction entre tachycardie sinusale et tachycardie atriale peut s’avérer délicate lorsque celle-ci est permanente.
Le recours à une stimulation vagale ralentira progressivement une tachycardie sinusale alors qu’elle pourra faire cesser instantanément une tachycardie atriale (loi du tout ou rien).
Une tachycardie atriale paroxystique doit faire rechercher un faisceau accessoire à l’origine d’un syndrome de préexcitation: intervalle PR court, empâtement de la branche ascendante de l’onde R et rythme en accordéon.
cas particuliers:
La tachycardie atriale avec bloc.
Lorsque la fréquence est très élevée (300 à 400 bpm chez le chien), les influx rencontrent des cellules du nœud AV encore en période réfractaire. Il s’installe alors un bloc du 2e degré fonctionnel, de grade plus ou moins élevé.
La conduction ventriculaire se fait sur le mode 2/1, 3/1 voire davantage.
La tachycardie atriale multifocale.
Elle se caractérise par la présence d’ondes P’ de morphologies différentes avec des intervalles PR variables. La fréquence ventriculaire est variable et les QRS sont fins (en l’absence de bloc de branche associé
– Le rythme du sinus coronaire
L’ hyperautomatisme d’un groupe de cellules du sinus coronaire dont la fréquence de dépolarisation est plus élevée que celle du nœud sinusal, prend la commande du rythme cardiaque (RSC: rythme du sinus coronaire).
Sur l’ ECG, seules des ondes P négatives en D2 et D3 le distinguent d’un rythme sinusal.
On le rencontre lors de distensions atriales et d’endocardites bactériennes mais il ne présente pas de danger particulier.
Le flutter atrial (flutter= battement d’ailes)
Le flutter est une tachycardie atriale caractérisée par une fréquence auriculaire très rapide (> 300 bpm) et régulière. Il trouve son origine dans une macroréentrée.
On remplace souvent l’appellation ‘ondes P’ par l’appellation ‘ondes F’. Ces ondes F se succèdent, sans retour à la ligne isoélectrique, et donnent au tracé un aspect ‘en dents de scie’ ou encore appelé ‘en toit d’usine’.
Vue la fréquence très élevée des auriculogrammes (ondes P ou F) la conduction est rarement 1/1. Un bloc atrioventriculaire du 2e degré s’installe , et la conduction se fait sur un mode 2/1, 3/1, 5/1 ou sur un mode variable.
Lorsque les ondes F sont peu visibles, il est difficile de distinguer le flutter d’une tachycardie atriale focale avec bloc.
Les tachycardies atriales focales avec bloc et le flutter sont souvent annonciateurs de fibrillation atriale.
la fibrillation atriale (FA)
C’est un trouble fréquent chez le chien, un peu moins chez le chat. C’est la plus fréquente des tachycardies supraventriculaires.
La fibrillation atriale peut se rencontrer sur un cœur sain dans les races géantes.
Un bloc AV préexistant multiplie par 4 le risque d’apparition d’une FA.
La FA correspond à une activité électrique atriale incoordonnée des myocytes auriculaires liée à de multiples microréentrées qui s’installent à la faveur de fibrose auriculaire et/ou de multiples foyers ectopiques siégeant dans les oreillettes.
Les myocytes auriculaires ne sont plus synchrones, ce qui aboutit à la disparition d’une contraction efficace.
Cette perte de systole mécanique atriale diminue le volume de sang reçu par les ventricules (disparition du remplissage ventriculaire actif ).
Plus la FC est élevée, plus le temps de diastole est court, ce qui empêche un remplissage ventriculaire passif correct et diminue le volume d’éjection systolique.
La perte de volume sanguin est estimée à 30% .
L’absence de contraction auriculaire favorise la stase sanguine ce qui majore le risque de formation de thrombus.
La fibrillation atriale étant un trouble du rythme supraventriculaire, les QRS sont fins car les deux ventricules se contractent simultanément. Cependant il peut exister, conjointement à la FA, un bloc de branche. Dans ce cas les QRS seront élargis. Sur L’ ECG , une FA se traduit par l’absence d’ondes P et une arythmie sans rapport avec la respiration.
Les facteurs prédisposant chez le chien ont été décrits par S. Moïse:
1) Une surface atriale minimale.
2) La distension atriale (toujours accompagnée de fibrose) qui augmente la période réfractaire.
3) Le nombre de fronts d’activation.
4) l’influence neurovégétative:
– l’augmentation du tonus sympathique mise en jeu, entre autre, par la spoliation d’une partie du volume d’éjection systolique engendrée par le reflux valvulaire. Cette augmentation du tonus adrénergique raccourcit les périodes réfractaires et favorise ainsi les réentrées.
– l’augmentation du tonus parasympathique accroît l’hétérogénéité des périodes réfractaires, ce qui facilite aussi les réentrées (FA idiopathique ou anesthésie sans parasympatholytique).
L’équilibre des niveaux de tonus sympathique et parasympathique vont déterminer la fréquence ventriculaire.
La FA était auparavant appelée AC/FA , arythmie complète par fibrillation auriculaire ou encore tachyarythmie complète par FA.
Sur un cœur malade, la fibrillation atriale précipite l’apparition d’une insuffisance cardiaque.
Répercussions cliniques des tachycardies atriales:
Elles sont liées d’une part à la fréquence et à la durée de la tachycardie et d’autre part à l’état cardiaque préalable.
Elles peuvent donc aggraver les signes d’une insuffisance cardiaque déjà présente ou être responsables d’ asthénie et de syncopes.
Les répercussions sont encore plus marquées lors de FA.
2) L’hyperexcitabilité jonctionnelle
C’ est une activité prématurée, originaire du nœud AV (extrasystole nodale) ou du tronc du faisceau de His (extrasystole hissienne).
Le rythme jonctionnel accéléré (RIJA)
Il s’agit de l’ hyperautomatisme d’un groupe de cellules du noeud AV ou du tronc du faisceau de His. Ce rythme est parfois lié à un tonus adrénergique exagéré ou d’intoxication digitalique. C’est un rythme intermédiaire entre un rythme d’échappement jonctionnel et une tachycardie jonctionnelle. Ce rythme plus rapide que celui du nœud sinusal prend alors les commandes.
L’ onde P du rythme jonctionnel est, soit:
a) absente
b) située dans le QRS ou juste devant.
c) située juste derrière le QRS (onde P rétrograde, oreillettes activées à contre-sens).
La tolérance d’un rythme jonctionnel est fonction de sa fréquence. Lorsque ce rythme s’accélère il prend le nom de tachycardie jonctionnelle. Son pronostic peut être plus sombre s’il est l’expression d’une intoxication digitalique ou s’il se greffe sur un faisceau accessoire (voir plus loin).
La tachycardie jonctionnelle
C’est une tachycardie supra-ventriculaire qui prend naissance dans le nœud AV ou le tronc du faisceau de His et se pérennise soit à l’intérieur de celui-ci, soit en utilisant un faisceau accessoire de conduction.
En l’absence de ce dernier, l’influx tourne en boucle dans le nœud AV et active les oreillettes (ondes P rétrogrades) et les ventricules à chaque passage (dualité de conduction AV). La conduction est de 1/1.
Il existe plusieurs types de faisceaux dont le plus fréquent est le faisceau de Kent (voir ci dessous ‘syndrome de préexcitation’). Le faisceau de Kent est un pont musculaire qui relie les oreillettes aux ventricules.
L’ influx a alors deux possibilités de cheminement:
1) Départ par la voie atrio-ventriculaire normale (nodo-hissienne) puis retour à l’oreillette par le faisceau accessoire. Si ce circuit se pérennise, il réalise alors une tachycardie jonctionnelle réciproque orthodromique à QRS fins (sans préexcitation). L’ onde P est rétrograde et à distance du QRS. Cette forme de tachycardie est souvent accompagnée d’une alternance électrique 1/1 (amplitude variable d’un QRS à l’ autre).
2) Départ par le faisceau accessoire pour activer les ventricules, puis retour à l’oreillette de façon rétrograde par la voie AV normale (nodo-hissienne). Il s’agit dans ce cas d’une tachycardie jonctionnelle réciproque antidromique, à QRS larges (en raison de la préexcitation). Les ondes P sont rétrogrades et rarement visibles car incluses dans le QRS. Cette tachycardie (super Wolff) est difficile à distinguer d’ une tachycardie ventriculaire.
Dans les deux cas, cette tachycardie fait partie du syndrome de Wolff-Parkinson-White (WPW) qui a pour substrat un faisceau accessoire. Le syndrome de WPW est un trouble du rythme associé à un trouble de la conduction.
Le syndrome de préexcitation
C’est l’activation prématurée d’une partie du myocarde ventriculaire par une voie de conduction anormale qui entre alors en compétition avec les voies normales de conduction AV.
La région ventriculaire dépolarisée via le faisceau accessoire se traduit sur l’ ECG par l’ apparition d’une onde delta qui élargit la base de l’onde R. Cette onde delta peut être intermittente lorsque la conduction nodo-hissienne redevient prédominante.
Il est important de reconnaitre le syndrome de préexcitation, même s’il peut rester muet tout au long de la vie, mais il peut soudainement conduire un influx et pérenniser une tachycardie jonctionnelle. Cela correspond au syndrome de Wolff-Parkinson-White qui associe donc un trouble d’excitabilité (tachycardie jonctionnelle) et un trouble de la conduction (faisceau).
Le faisceau n’a pas de propriété de conduction décrémentielle comme le nœud atrio-ventriculaire (NAV), il conduit donc sur le mode 1/1 ce qui peut devenir dangereux si une fibrillation atriale se déclenche car la fréquence ventriculaire peut dépasser 400 bpm.
Le nœud AV joue un rôle de filtre via ses propriétés de conduction décrémentielle qui consiste à freiner d’autant plus le passage des influx qu’ils sont nombreux.
Un syndrome de préexcitation se traduit sur l’ ECG par un intervalle PR court et un QRS légèrement élargi par empâtement du début de l’onde R (onde delta Δ).
L’empâtement de la branche ascendante de l’onde R correspond à la fusion de l’influx qui descend par la voie nodo-hissienne et de l’influx qui empreinte le faisceau.
L’aspect de la séquence P-QRS varie en fonction de la localisation du faisceau, de l’équilibre neurovégétatif, des caractéristiques de la voie de conduction AV et de celle du faisceau (perméabilité). La préexcitation peut être permanente, intermittente (quelques QRS) ou cachée (lorsque la conduction est uniquement rétrograde).
Il est parfois difficile de distinguer une tachycardie atriale d’une tachycardie jonctionnelle car l’onde P de la tachycardie atriale est souvent masquée par le QRS.
Pour cette raison on regroupe sous le vocable « tachycardie supraventriculaire » les tachycardies à QRS fins puisque leur prise en charge est identique.